Mardi 31 aout 2010, j'écris de Yelizovo, porte d'entrée et, en ce qui me concerne, très bientôt de sortie du Kamchatka. La première partie de l'expédition «Appâts d'Ours» est terminée et tout comme le décor, une partie des acteurs a changé. J'ai quitté le groupe hier à Milkovo, tandis que Thibault Mary (alias Bernard) a rejoint le groupe composé de Vincent, Thibault et Thomas. Pour eux, l'aventure continue et repart même de plus belle, la partie la plus longue et a priori la plus engagée du point de vue de l'autonomie ne faisant maintenant que commencer.


Pour moi le voyage prend fin. Il me reste encore deux jours avant d'être chez moi, mais le fait d'avoir quitté le groupe et de retrouver seul les lieux déjà fréquentés avec mes compagnons de voyage il y a 3 semaines de cela, invite à un peu de mélancolie et à jeter un regard en arrière sur le temps passé ensemble. Etant le seul du groupe a ne pas avoir tenu de journal de bord, je vais faire de mon mieux pour rassembler des souvenirs parfois trop frais pour avoir été mis en ordre dans ma mémoire. 3 semaines, cela peut paraitre court et pourtant il me semble que je suis au Kamchatka depuis longtemps, tant ces 3 semaines ont été riches en découvertes, en rencontres, en émotions, bref en vie.


 

Mon premier jour a Yelizovo, ville jouxtant la capital provinciale Petropavlovsk et abritant l'aéroport principal de la péninsule, m'avais déjà imprégné d'une ambiance toute Kamchatdale : de la verdure partout, des volcans omniprésents, et des habitants, parsemés dans ce paysage de nature indomptée et qui semblent s'allumer d'une chaleureuse hospitalité au son des premiers mots russes entendus.

Dès le lendemain, mais « enfin » pourrait-on dire pour Vincent, Thomas et Thibault, qui arpentaient les rues de Yelizovo depuis plusieurs jours déjà, nous partions pour notre première ascension. Au petit matin nous sommes montés dans le 4x4 de Valeri qui devait nous conduire jusqu'à la station qui sert de point de départ aux ascensions des deux volcans qui surplombent presque, tant ils sont proches, la baie d'Avacha et la ville de Petropavlovsk : le populaire Avashinsky (2750m) et le plus exigeant Koriakski (3450m).


Notre cible était le Koriakski. Il s'agissait de se «chauffer» sur ses fla
ncs avant de se lancer quelques jours après dans le massif du Kliouchevskoy. Et on a pas a été déçu. Après avoir atteint la station touristique située a 800m d'altitude en remontant le lit asséché d'une rivière (une route en moins à construire), nous mangeons un bout et nous apprêtons a nous mettre en marche sous un ciel chargé et de plus en plus bas, quand Yuri, un guide local, vient se renseigner sur notre présence. Après nous avoir fait comprendre que nous aurions dû avoir engagé un guide, il se propose de nous mettre sur la bonne voie en nous accompagnant sur le premier kilomètre. Nous acceptons d'autant plus volontiers que les nuages bouchent la vue de l'arête que nous savons devoir prendre et que nous ne disposons pas de carte précise du Koriakski.

Mis sur les bons rails par Yuri, nous progressons rapidement dans un brouillard mâtiné de pluie et d'un vent de plus en plus violent qui met a rude épreuve l'imperméabilité de certains de nos vêtements. Le test ne fait que commencer.

Après 3 heures de montée sur une arête assez large pour être qualifiée d'épaule de sumo, nous prenons finalement pied sur un petit dôme de pierres rouges qui nous avait été indiqué par Yuri comme le seul lieu possible pour établir le camp de base. Nous trouvons effectivement la grosse pierre qui devrait nous offrir un certain abri du vent et y montons la tente, toujours dans le brouillard, la pluie, le vent. Dans de telles conditions et comme nous ne sommes qu'au début de l'après-midi, pas d'alternatives à une sieste dans des sacs de couchage plus ou moins secs. La tente plie sous le vent qui souffle maintenant très fort mais on finit quand même par trouver le sommeil et quand nous ouvrons à nouveau les yeux, bonne surprise, le soleil illumine l'intérieur de la tente. Dehors le vent souffle de plus belle mais a chassé les nuages et nous découvrons un paysage splendide : l'Avachinsky laisse peu à peu apparaitre son cône régulier, rougeâtre et fumant, tandis que 2000 mètres plus bas la forêt s'étend jusqu'aux rives de la baie d'Avacha et à l'Océan Pacifique. Au dessus de nos têtes, les contreforts du sommet du Koriakski émergent des nuages et nous voyons clairement l'arête que nous devrons prendre demain pour y parvenir. Ca a l'air prenable, au moins jusqu'à a la pente finale, que nous ne distinguons pas suffisamment clairement pour juger de sa difficulté. Le départ est fixé a 5h30 demain matin. Les nuages et le mauvais temps reviennent, retour dans la tente.

La nuit tombe et le vent n'a jamais été aussi violent. La tente s'aplatit littéralement sous les rafales et danse comme un vaudoo en transe le reste du temps. Certains d'entre nous dorment mal tandis que les autres ne dorment pas du tout et font des sorties pour tenter de consolider les attaches de la tente, de peur qu'elle s'envole. Après une pareille nuit, c'est le plus naturellement du monde que nous ne nous levons pas a 5h30 mais 2 heures plus tard. Le vent s'est calmé, sans doute fatigué par ses exploits nocturnes, et le ciel plutôt dégagé. On part donc sur le coup de 8h, après un petit-déjeuner vite expédié. L'ascension sur l'arête est d'abord facile, puis devient plus lente au fur et a mesure que la pente se raidit et que le sol et la roche se couvrent de glace et de neige. Au-dessus de nous, la partie sommitale (nous ne distinguons jamais clairement le sommet) apparait couverte de neige fraiche…et loin. On continue. L'arête est maintenant étroite. Nous crapahutons dans de gros blocs de rocher. Ce n'est pas difficile mais il ne faut pas tomber et le gel oblige à avancer prudemment. Il est déjà 11h et nous sommes juste sous les 3000m. Juste devant nous, un passage un peu délicat apparait. Nous commençons à nous encorder en discutant de l'opportunité de continuer. Il est tard (pour des standards alpins), les nuages semblent persister au sommet, le reste de l'ascension semble être de plus en plus technique. Une fois l'encordage terminé, la décision de faire demi-tour a déjà été prise. La descente se passe sans histoire et nous rejoignons la station dans l'après-midi. Le temps de discuter avec un groupe venu fêter un mariage entre amis, et nous remontons dans la jeep de Valeri, direction Yelizovo.


1ère tentative d'ascension, 1er échec. Mais aucun des membres du groupe ne semble trop affecté par ce bilan. Clairement, la motivation n'était pas encore là à 100% pour atteindre un sommet que nous avions par ailleurs peut-être sous-estimé. Il s'agissait de se préparer pour les treks à venir et de ce côté-là la mission est accomplie. Les corps se sont décrassés et le matériel a déjà été soumis à rude épreuve. A vrai dire, nous ne connaitrons plus de conditions aussi hostiles tout au long de notre séjour dans le massif du Kliouchevskoy. Et puis nous avons tous la tête pleine des paysages grandioses et inédits qui se sont offerts a nous durant ces deux jours. Difficile d'être amers après ca. Nous prenons tout de même le bus pour le nord le surlendemain avec l'intention, raffermie par notre premier échec, de réussir les ascensions prévues sur le parcours.

 
La route qui part de Yelizovo vers le nord se transforme rapidement en piste et le voyage dans le vieux bus qui nous porte s'avère rude pour les vertèbres. Passée la rivière Kamchatka sur un bac, nous ne sommes pas fâchés de descendre à Kozirevsk, ville (village, hameau, enfin tout est relatif) qui sert généralement de point de départ aux excursions dans le massif du Kliouchevskoy. A Yelizovo, on nous avait parlé d'une Maria qui tient une guesthouse a Kozirevsk où nous pourrions loger. Nous trouvons ladite guesthouse, Maria arrive dans son petit 4x4 blanc, nous adresse quelques mots en russe et un «auf Wiedersehen» qui lève toute ambiguïté. Bon, direction la rivière Kamchatka pour trouver un endroit sympa où monter la tente. En guise d'endroit sympa ça sera la scierie du coin...ok, on va dire qu'on est pas encore rodé. Finalement, l'endroit s'avèrera être sans doute le meilleur de toute la ville et cela grâce a Sergueï.

Sergueï débarque sur notre campement au moment où nous nous essayons vainement a la pêche. Après une rapide estimation de nos chances d'attraper quoi que ce soit, il nous invite à le suivre. Deux d'entre nous y vont et reviennent 5 minutes plus tard, accompagnés de Sergueï et de deux beaux saumons. Le plat de pâtes que j'étais entrain de préparer perdait d'un coup pas mal de son attrait. Festin de saumon sur fond de montagnes enneigées et même, à la nuit tombée, de coulée de lave incandescente du Kliouchevskoy. On a hâte d'y être.

 
Le lendemain nous partons pour le massif. Ou plutôt à la recherche d'un moyen de transport pour rejoindre ce massif. Après avoir envisagé de recourir aux services de Natasha, l'acolyte de Maria, la solution idéale nous tombe dessus à l'improviste, comme souvent, au détour d'une promenade et d'une rencontre. Il s'agit en l'occurrence d'un groupe de 5 touristes français qui se baladent dans le Kamchatka dans un gros 6x6 avec guide, chauffeur, interprète et cuisinière.

Il s'agit du package habituel pour les tours organisés ici et comme le dit l'un des français, l'honneur est sauf puisqu'ils sont 5 voyageurs pour 4 accompagnateurs. Mais le principal est que l'un d'eux a reconnu le logo de l'association « Cap sur l'extrême » sur le t-shirt de Vincent: il est allé sur le site et nous dit y avoir trouve plein d'infos utiles. La suite se devine aisément et nous partons peu de temps après à bord du 6x6, direction Leningradskaia, petit camp avec deux cabanes situé sur la coulée de lave au pied du Tolbachik, la principale ascension à notre programme. L'idée originale était de commencer notre trek au nord du Tolbachik, d'en faire le tour et de terminer par son ascension. L'occasion faisant le larron, nous ferons finalement l'inverse, ce qui ne s'avèrera pas plus mal, comme nous en convaincra la suite du voyage.

Nous camperons finalement en contrebas de Leningradskaia, à côté du groupe français. L'occasion pour nous de profiter des conseils de leur guide, Yuri, sur notre tour dans le massif et de noter quelques points GPS. Pour ce qui est de gravir le Tolbachik Pointu (le Toblachik est constitué de 2 volcans accolés l'un a l'autre, le Tolbachik Plat, une immense caldeira (un cratère dont le fond s'est effondré), et le Tolbachik Pointu, qui est à peu près aussi pointu que le Mont Blanc), Yuri affirme que cela peut se faire en une journée en partant de notre campement pas trop tard. Sachant que le campement est à 1000 mètres d'altitude, le sommet à 3600, et qu'il y a en plus une certaine distance entre les deux, nous sommes d'abord sceptiques. D'autant plus qu'il nous avait été jusqu'alors conseillé de camper au sommet du Tolbachik Plat, a 3000m d'altitude, et de gravir les 600 derniers mètres le jour suivant. Mais quand Yuri nous propose de partir avec eux (ils vont faire le Tolbachik Plat) le lendemain matin avec le 6x6 jusqu'à 1600m, nous finissons par nous dire que cela vaut le coup d'être tenté.
 
Le lendemain le 6x6 ne démarre finalement qu'à 8 heures. Nous nous essayons a quelques calculs sur la durée possible de l'ascension mais ne parvenons pas à juger une bonne fois pour toute de sa faisabilité en une journée. On verra bien en montant. Nous commençons à marcher à 9h15 dans un décor lunaire. 2000 mètres au dessus de nous le Tolbachik apparait entièrement et on ne peut plus clairement. Nous ne sommes pas sûrs en revanche d'apercevoir le Tolbachik Plat ou seulement ses antécimes. Peu importe pour l'instant.
Nous partons avec l'objectif d'essayer d'arriver en haut (objectif prudent s'il en est) et il ne faut pas trainer. On avance sur un bon rythme, dépassons rapidement le groupe de touristes français qui avaient débuté leur marche avant nous et arrivons somme toute assez rapidement au pied d'un large ressaut que nous avions pu penser, vu d'en bas, être le sommet du Tolbachik Plat. Il ne s'agit en fait que d'un contrefort. Après une dernière pente neigeuse nous débouchons finalement sur le cratère béant du Tolbachik Plat. Vue impressionnante. Nous regardons nos montres: 1h30 d'avance sur nos estimations. Si nous continuons comme ça, le sommet est a notre portée. Nous entamons rapidement le contournement du cratère et nous retrouvons alors sur son côté est, couvert d'un glacier effectivement plat à cet endroit, au pied de l'arête qui mène directement au sommet, 600 mètres plus haut. Vu de face, elle à l'air assez raide mais vu de face tout à l'air assez raide... Nous chaussons les crampons, nous encordons en 2 cordées de 2 et attaquons la dernière et plus belle partie de l'ascension. Derrière nous les sommets presque parfaitement alignés du Kamen et du Kliouchevskoy (4800m) se dressent dans toute leur splendeur, le premier comme une cime alpine escarpée et enneigée, le second comme un cône parfait, noir et fumant. Plus bas, la mer de nuages s'est arrêtée au bord du cratère du Tolbachik Plat et semble hésiter à s’y engouffrer. L'Udina, notre prochaine cible, ne doit, lui, qu'à sa hauteur d'émerger de justesse de cet océan cotonneux. Sous nos pieds, la neige est dure et cramponne bien. L'arête n'est clairement pas plate mais pas si raide que ça non plus finalement et nous progressons sans trop de peine. Nous nous élevons ainsi régulièrement, de plus en plus haut au dessus des nuages et de la toundra verdoyante 2000m au dessou
s de nous, de plus en plus près du ciel bleu profond et du soleil qui brille au dessus de nos têtes.

Nous atteignons le sommet presque d'un coup, seulement 1h30 après avoir entamé l'ascension finale. Il est 15h30 et nous sommes heureux. Vers l'ouest nous apercevons le fleuve Kamchatka qui serpente dans la forêt et passe sur les flancs de Kozirevsk, 3600 mètres plus bas et a 30 km de nous. Le paysage est magnifique et le froid suffisamment supportable pour rester au sommet une petite demi-heure, après quoi nous entamons la descente.

Quand nous rejoignons notre tente, que nous avions laissé là où s'était arrêté le 6x6 le matin-même, nous avons les jambes fourbues mais le sentiment du devoir accompli. Demain sera une journée de repos. Nous descendrons a Leningradskaia et verrons à trouver une place dans une des cabanes.

 

La journée de repos a fait du bien, même si elle a failli être celle de la fin pour Vincent qui s'est tordu la cheville, heureusement sans gravité, en descendant vers les cabanes et la nuit passée dans une des cabanes chauffée au poêle aussi.

Le jour suivant nous partons donc frais et dispos, ou presque, vers le col de Tulud à 18km de là. Le temps est brumeux, ce qui ne fait que renforcer l'aspect irréel du paysage dans lequel nous évoluons. Le sol est noir, couvert de scories, parsemés de grosses bombes de basaltes aux formes parfois grotesques et les cônes volcaniques apparus lors de la dernière éruption du Tolbachik en 1976 viennent parfois déchirer le voile de nuages qui nous environne. Peu a peu le soleil nous fait deviner sa présence derrière la brume et celle-ci finit par totalement se lever. Nous apercevons alors devant nous l'Udina, qui se lève majestueusement de la plaine et étend ses bras dans toutes les directions.
Le sol minéral se couvre peu a peu de végétation et quand nous attaquons la pente douce qui mène au col, le décor est devenu presque champêtre. Seul tâche au décor, l'absence d'eau. Les lits de rivières sont a sec et quand nous trouvons quelques vasques avec des restes d'eau, nous nous empressons de refaire un plein. Pourtant, quand nous arrivons au col (une vaste étendue herbeuse au confluent de 3 volcans : le Tolbachik, le Zimina et l'Udina), un simple calcul de nos besoins montre que nos réserves d'eau ne suffiront pas à tenir jusqu'au surlendemain matin, la journée de demain étant censée être consacrée à l'ascension de l'Udina. Heureusement, une brève exploration des alentours nous permet de découvrir quelques ruisseaux. L'Udina est donc toujours au programme, ouf.
 
Un peu avant 6h nous quittons la tente que nous avions planté la veille au pied de l'arête que nous savons devoir emprunter tout du long pour parvenir au sommet. Contrairement au Tolbachik, la montée débute raide immédiatement. D'abord vaguement herbeuse, l'arête devient rapidement pierreuse et assez effilée. Cette ascension s'avèrera donc bien différente de celle du Tolbachik et de ses larges pentes neigeuses et glacées et c'est tant mieux. Lorsque des gendarmes viennent se dresser sur notre chemin nous descendons de l'arête et remontons sur ses flancs, dans un chaos de dalles plus ou moins stables. Ce n'est pas du goût de tout le monde mais nous avançons tout de même inexorablement tandis que dans notre dos le paysage semble faire tout ce qu'il peut pour attirer notre attention.
Le Tolbachik fait son fier plus que jamais tandis que le Bezymianni, gros nain au pied du Kamen et du Kliouchevskoy, crache plus de fumée que le vent ne peut en balayer. L'arête rocheuse, après un dernier raidissement qui oblige à mettre les mains (mais on ne se fait pas prier pour les mettre non plus), cède la place à un petit glacier qui plonge du sommet nord tout droit dans la face ouest en se raidissant de façon exponentielle, disparaissant ainsi à nos regards. Crampons, corde et nous traversons cette langue de glace jusqu'à rejoindre le cratère qui, remplit d'un glacier, se présente plus sous la forme d'un petit belvédère suspendu en plein ciel. Le sommet principal, un gros éperon rocheux, nous apparait alors, coté sud. Nous traversons ledit belvédère, gravissons une petite pente de neige, empruntons une courte arête, neigeuse elle aussi, enjambons quelques rochers et nous voilà au sommet de l'Udina où une plateforme en bois nous attend. Le cadre rêvé pour se détendre et profiter du panorama grandiose qui s'offre a nous. Sur son versant sud, les flancs rocheux hérissés de gendarmes et d'éperons de l'Udina se déroulent directement jusqu'à la forêt, 2500 mètres plus bas. Les rivières qui se fraient un chemin dans cette épaisse végétation luisent au soleil et nous apparaissent entre les nuages épars qui flottent oisivement dans un air sans vent. Au loin, les sommets acérés de la chaine du T
oumrok se dessinent a l'horizon, comme taillés à coups de serpe. Au pied sud-est de l'Udina se tient sa réplique miniature, le Malaya Udina, comme une formidable forteresse dressée là par l'homme à l'image des volcans qui l'entourent. Et puis le Kliouchevskoy, toujours, qui se dessine comme une silhouette sombre et inquiétante dans l'ombre du Kamen.

Nous empruntons à la descente de l'Udina le même itinéraire qu'a la montée, dans des pierriers rendus plus instables encore par le dégel en cet après-midi ensoleillé. J'en fais l'expérience quand un gros bloc cède et roule sous mes pas, m'entrainant dans sa chute. Heureusement nous sommes encore encordés et Vincent me retient sans peine. L'arrivée à la tente est un soulagement, le bain de pieds dans le ruisseau tout proche aussi.

 
Le lendemain aurait dû être une journée de repos mais le lieu ne s'y prête guère et nous décidons donc d'avancer vers notre prochaine étape, un petit lac près du Bezymianni. Nous partons tard mais de fil en aiguille nous finissons par faire la quasi totalité de l'étape. Après avoir laissé derrière nous le col Tolbachik et avoir pris pied sur le champ de lave du Bezymianni, nous nous arrêtons finalement a l'ombre d'un petit massif rocheux qui présente deux avantages: une cascade tombe de son sommet et offre des perspectives aussi imprévues qu'alléchantes de douche, un group
e de touristes campe a ce même endroit, et qui dit touristes, dit organisation russe et la nourriture qui va avec. Toute la journée, la discussion n'avait quasiment porté qu'autour des vertus comparées du saucisson, du cervelat et du salami. On avait faim et nos aspirations n'allaient plus au-delà d'un verre de riz pour compléter notre portion quotidienne de lyophilisé. On se retrouvera finalement avec des boites de boeuf, de saumon, de thon et de morue, des céréales non identifiés (au goût d'ailleurs non identifiable), de la farine et de l'huile (ce qui nous permettra de faire des galettes) et même du miel (pour mettre sur les galettes). La cascade ne décevra pas non plus. Elle rebondit sur un gros bloc de pierre et poursuit sa chute dans une petite grotte en éclaboussant idéalement pour prendre une douche. Avec 30 degrés en plus (je parle de l'eau...) on se serait cru dans une publicité Ushuaïa.
 

A peu près propres et bien armés en nourriture, nous décidons de passer une journée de repos à cet endroit avant d'escalader le Bezymianni. Le soir nous offrira encore une scène extraordinaire: une éruption sur le Kliouchevskoy, grondements et jets de lave fluorescente dans la nuit sombre. Le mauvais temps fait irruption dans notre trek le lendemain, changeant radicalement l'atmosphère des lieux. Après tant de jours ensoleillés, la grisaille nous fait nous sentir vraiment au Kamchatka tel que nous nous l'étions imaginé. On l'accueille presque avec plaisir. Après tout, tant que ça ne dure pas...

Hélas pour nous cela a duré. Le jour prévu pour l'ascension du Bezymianni
le mauvais temps est toujours là. Nous décidons de partir quand même, ne serait-ce que pour faire quelque chose et se dégourdir les jambes. Nous franchissons un petit col, passons le lac que nous aurions pu atteindre deux jours plus tôt et arrivons finalement vers midi à la petite cabane construite pour répondre aux besoins des vulcanologues et posée au pied du Bezymianni, volcan longtemps cru éteint et un des plus actifs du massif depuis sa violente éruption en 1956. Juste avant d'atteindre la cabane, nous croisons le groupe de français qui nous avaient gentiment amené au pied du Tolbachik. Ils nous racontent être passé près de notre tente le jour ou nous montions sur l'Udina, et y avoir vu un ours, a quelques mètres seulement de nos affaires. Eux sont montés sur le Bezymianni la veille, n'ont rien vu pour cause de brouillard et s'en vont maintenant pour Copito, terminus de la plupart des treks dans le massif, où leur 6x6 les ramènera a Kozirevsk. Il fait aussi mauvais aujourd'hui que la veille mais le sommet ne semble pas être très long a gravir, 3-4h, cela peut valoir le coup. Il pleut et nous décidons de commencer par une petite halte dans la cabane qui est remplie de touristes russes. En toute logique, nous nous retrouvons très rapidement le ventre bien rempli avec en prime un guide pour nous montrer le chemin vers le sommet : Artem.

Artem est un jeune garçon de 18 ans fort sympathique qui, sans nous adresser un mot d'anglais, nous fait vite comprendre qu'il n'est pas là pour compter les pâquerettes (pourtant ça aurait été vite fait). Si on veut arriver en haut il va falloir réussir a le suivre. On part donc sur un train qu'on qualifiera de soutenu vers le sommet, sommet que nous ne voyons naturellement pas, de même que tout ce qui se trouve à plus de 30 mètres de nous. J'avoue que cette ascension en mode sport n'était pas pour me déplaire. En plus d'un bon petit décrassage elle permettait à mon tendon d'Achille d'être suffisamment chaud pour que je ne sente plus la tendinite qui s'était réveillée deux jours auparavant. 1H50 après avoir quitté la cabane, nous nous tenions sur les bords du cratère du Bezymianni au centre duquel s'élève un nouveau cône, ornés de dizaines de fumerolles. Lorsque le vent se levait, nous pouvions tout juste apercevoir l'ensemble du cône. Sympa, mais pas de quoi camper là. La redescente se fit sur le même train d'enfer que la montée et 1 heure après nous étions de nouveau dans la chaleur de la cabane avec de nouveau de quoi manger, boire et plaisanter avec nos amis russes.

 

Après cet épisode, le retour sous la pluie à la tente nous parut plus difficile. Le beau temps pouvait revenir quand il voulait, nous l'attendions avec impatience. Nos prières impies pour le ramener le jour suivant ne suffirent pas et nous passions cette journée dans la tente, à tuer le temps en discutant de l'opportunité de lever le camp ou non. Quand la décision fut prise il faisait déjà sombre. Heureusement, nous avions décider de ne pas bouger.

La prochaine étape devait être le glacier du Kliouchevskoy, à partir duquel nous aurions pu faire une excursion en contrebas du terrible volcan et, avec un peu de chance, admirer ses éruptions et coulées de lave. Le temps, lorsque nous levions enfin le camp, semblait pouvoir le permettre. Les rayons de soleil perçaient ça et là les nuages et nous décidâmes donc de nous diriger vers le large glacier qui s'étend entre le Kamen et le Kliouchevskoy.
Arrivés au pied de ce glacier couvert de cendre et même, à certains endroits, de végétation, le ciel s'était à nouveau couvert. Nous prîmes quand même pied sur le glacier et, de là, finirent par le traverser, mais plus pour l'honneur qu'avec la véritable intention de le remonter sur son autre flanc. Le contraste entre les nuages noirs qui s'amoncelaient en amont du glacier et la fine frange de ciel bleu que nous apercevions à l'horizon dans la direction de Copito nous convainquit que nous ne gagnerions pas grand chose à poursuivre le trek et qu'il était sans doute temps de prendre le chemin du retour. Ainsi fut fait, et après encore de longues heures de marche, le lac auprès duquel nous devions camper apparut enfin, posé sur la dernière avancée du plateau couvert de toundra, avant que celui-ci ne descende en pense abrupte vers la forêt et la plaine. Un dernier regard en arrière vers le massif du Kliouchevskoy et ses paysages à l'apparence d'autant plus sauvage et austère que flottait au dessus d'eux un bas et sombre plafond nuageux, et nous descendions vers le lac dans lequel tombaient quelques rayons de soleil égarés.
 

Le lendemain, au réveil, le beau temps était enfin revenu. Plongeon dans le lac, plongeon hors du lac (incroyable, l'eau est froide) et beau panorama devant le Tolbachik, vierge de tout nuages et couvert d'un nouveau manteau de neige éclatant, devant le Kliouch et le Kamen aussi, qui apparaissaient teintés de mystère dans un fin voile de brume matinale. Belle manière de faire ses adieux. Nous partons à midi, tranquillement, direction la cabane de Copito, à quelques kilomètres de là, posée a l'orée de la forêt. Quand nous la rejoignons nous n'y trouvons hélas ni nourriture ni véhicule pour nous ramener a Kozirevsk. Nous ferons donc ce dernier tronçon à pied.

Si l'entrée dans la forêt offrait un agréable dépaysement et un cadre vraiment bucolique, le mauvais temps qui nous surprend
le deuxième jour au petit matin et une piste devenue monotone dans une forêt de boulots semble-t-il interminable nous donnent maintenant vraiment envie d'en finir et d'atteindre Kozirevsk... et son «magazine» plein de victuailles. Les meilleurs choses comme les moins bonnes ont toujours une fin, et la piste que nous empruntions finit par déboucher hors de la forêt et nous conduire directement a l'épicerie. Une fois le ventre bien rempli, il s'agissait de trouver un endroit où dormir. La tente était toujours possible mais un consensus s'est vite établi sur la nécessité de trouver une guesthouse pour recharger les batteries des appareils photos...évidemment. Autant elle nous avait chassé à l'aller, autant cette fois ce fut Maria qui vint nous trouver pour qu'on loge chez elle. Sa guesthouse, la seule de Kozirevsk au final, est très bien aménagée et nous eûmes même droit a une douche sauna : le pied.
 
La prochaine étape devait être Esso, petite ville qui se retrouve souvent sur les itinéraires touristiques car il s'agit d'un lieu de résidence de certaines minorités autochtones du Kamchatka (Koriaks et Evens notamment), situé qui plus est dans un parc naturel et à proximité de sources chaudes. Notre plan était de rejoindre Esso en stop. Après environ une heure et demi passée sur le bord de la route puis au milieu à jouer à la pétanque, la pluie se mit a tomber et notre détermination avec elle. Retour chez Maria, «auf Wiedersehen», ok, direction la place du village, puis l'épicerie (décidemment incontournable) puis la tente.
« On prendra un bus pour Milkovo demain et puis on verra bien si de là on a encore le temps de rejoindre Esso». Juste avant de se coucher nous croisons un couple d'autrichiens, plus âgés, que nous avions déjà rencontré durant notre trek. Ils comptent se rendre à Esso en stop demain. On leur fait part de notre expérience et eux de la proposition qu'ils ont reçu de les conduire là-bas pour 6000 roubles. A deux ça fait cher mais à 6...Rendez-vous est donc pris pour partir ensemble le lendemain. D'ici là le prix sera monté a 8000 roubles mais comme dans le même temps 4 russes se seront joint a notre groupe, le deal reste acceptable.

Esso est une ville particulière au Kamchatka dans la mesure où elle ressemble effectivement à un village. La concentration de maisons en son centre permet d'identifier de véritables rues et un certain ordonnancement qui définissent ce que nous entendons généralement par ville. A Esso, la pluie n'aura pas cessé un instant. C'est sûrement bon pour les plantes et les framboisiers (qui semblent être la plante reine du Kamchatka, ce qui est quand même mieux que le rhododendron) mais pas idéal pour explorer les alentours. Heureusement 3 lieux stratégiques étaient situés à moins de 10 minutes a pied de notre tente: le bain chaud (bien agréable), l'épicerie-bistrot (bien agréable aussi à condition de bien se garder d’appeler la tenancière « Babouchka »), l'information center peuplée de gentilles volontaires allemandes avec qui nous avons passe une bonne soirée à l'épicerie-bistrot susmentionnée et qui nous ont bien aidé pour trouver un moyen de quitter Esso. Car s'il n'a pas été simple d'arriver à Esso, il a été encore plus difficile de la quitter. Plus de tickets de bus disponibles pour les 4 prochains jours et aucune place dans des véhicules de touristes. Grâce a Judith de l'information center qui a dû appeler à peu près tous les habitants de la ville, nous obtenons finalement une place dans une voiture pour un prix acceptable. Un passage dans le petit musée d'Esso et nous partons déjà pour Milkovo, point de départ de la seconde partie du voyage et où nous devons réceptionner Thibault Mary, en provenance de France.

Que dire des 2 jours passés à Milkovo ? Pas grand chose si ce n'est que l'hôtel Geolog est bien confortable, que la tartiflette aux champignons c'est bien bon, et que les russes (hommes comme femmes..) sont bien accueillant même si parfois un peu inquiétants...Mention spéciale tout de même pour Mikhail, alias «Michel MichelPapat'appelle», archéologue de profession, qui parle bien anglais et qui pourra vous renseigner sur tout un tas de choses juste en lui offrant une bouteille de bière de temps en temps. Si vous vous rendez a Milkovo, vous le reconnaîtrez aisément à sa casquette Chicago Bulls.

 
Samedi 28 août, il est 15 heures, nous sommes tous les 5 (Thibault Mary a été bien réceptionné la veille) attablés autour d'une bonne bière en compagnie de quelques russes. L'heure du départ approche, eux pour la seconde partie de l'aventure, moi pour le retour, lent et progressif, via Vladivostok, vers mon chez moi à Pékin. Compagnie russe oblige, nous n'avons pas trop l'occasion de nous livrer à des effusions sur les 3 semaines et quelques écoulées. Je n'en pense pas moins. Sur la durée totale du voyage, je n’aurai finalement passé que la moitié à faire de la montagne ou du trek, mais ces 14 jours auront été splendides et bien remplis. Les 14 autres jours passés dans des bus, des guest houses, des villages, des bistrots et des épiceries auront été mémorables aussi. Les habitants du Kamchatka sont des gens charmants, marrants, surprenants
parfois, mais qui ne laissent pas indifférents. Je suis actuellement logé chez Irina, à Yelizovo, et peut ainsi profiter jusqu'au bout de l'hospitalité kamchatdale. Quant a Thomas, Thibault et Vincent ils auront été de supers compagnons de voyage, d'autant plus qu'à l'exception de Vincent, on ne se connaissait pas (ou quasiment pas) avant ça. Pourtant il n'y a jamais eu ni problème ni tension dans le groupe. Au contraire, on s'est bien marré. Avec Thibault Mary, ils se retrouvent maintenant entre 4 potes et je ne me fais pas de souci pour eux...plus pour ceux qui vont croiser leur chemin: ) Bonne chance les gars!
 

Agrément Expédition de la FFCAM